Interview avec Tony Webster

La série

Tony Webster était associé à Gary Chalk pour concevoir les règles de Cry Havoc au début des années 80. Il a été assez aimable de répondre à quelques questions pour Cry Havoc Fan.

Buxeria : Tony, c’est un honneur pour moi d’être en contact avec un de ceux qui inventèrent un jeu qui me fait encore vibrer, près de 30 ans plus tard. Merci beaucoup d’accepter de répondre à mes questions aujourd’hui.

Tony Webster : C’est un plaisir pour moi de répondre à quelques questions si je le peux !

B : Comment vous est venue l’idée d’un jeu d’escarmouche medieval ? Et qui en est l’auteur, car je crois que ce fut un effort partagé entre Gary Chalk et vous ?

T.W.: Gary Chalk, un ou deux amis (notamment Grant Newell) et moi nous rencontrions tous les vendredi soir, soit chez Gary ou Grant, pour jouer à des jeux de figurines. 

Tony Webster

Tony Webster au début des années 80, quand il écrivait les règles de Cry Havoc.

Grant Newell et moi-même étions des fans de figurines Deuxième Guerre Mondiale de 54mm et nous reproduisions avec Gary des engagements au niveau de la section ou du peloton tirés de l’Opération Market Garden (Arnhem). La véritable passion de Gary Chalk à cette époque était le Moyen-Age et la Renaissance et nous faisions souvent des campagnes à grande échelle en utilisant sa large collection de figurines 25 mm. Parfois, histoire de se reposer, nous jouions à un wargame sur plateau. Un soir, nous jouions à un jeu (le nom m’échappe, ce devait être un jeu ECW) et nous étions très frustrés de l’amoncellement de règles qu’il fallait ingurgiter pour pouvoir faire un tour. C’était arrivé à un point où j’ai dit « nous pourrions créer un jeu qui serait bien plus amusant que celui-ci » . Grant n’avait ni le temps ni l’envie de s’impliquer dans ce projet mais Gary accepta de suite et si je me souviens bien, c’est lui qui proposa l’époque médiévale. Il était prêt à dessiner quelques cartes et pions si je pouvais ébaucher les règles.

B. : Le concept de pions avec des valeurs décroissantes en fonction de leur état de santé était révolutionnaire au début des années 80. Comment vous est venu cette idée ?

T.W. : L’idée venait de nos parties avec figurines 2e Guerre Mondiale où Gary et Grant avaient élaboré des règles pour personnages blessés et assommés avec les effets de leur condition sur leurs performances.

B. : Comment vous êtes-vous réparti les roles avec Gary ? Etait-ce simplement « Gary, tu fais les cartes et les pions et je fais les règles », ou quelque chose de plus interactif ?

T.W. : Peindre un mur est un challenge pour moi ! Tout le crédit des magnifiques illustrations va à Gary, c’est lui qui a conçu les cartes et les pions. Ma contribution s’est limitée à l’échelle des cartes et les valeurs des pions. En ce qui concerne les règles, j’ai ébauché les mécanismes de base, les ai présenté à Gary et nous les avons peaufiné ensemble. Je tiens à dire que nous n’avons pas tenté de faire une simulation militaire, notre objectif était simplement de faire un jeu facile à jouer et ludique : nous étions déjà repu de jeux de simulations dont les règles avaient la taille d’un annuaire téléphonique.
 

B.: Les noms des personages ont des consonnances anglaises, françaises et allemandes. Y a-t-il une raison ? Certains noms sont bizarres et ont sûrement un sens caché. Est-ce que vous pouvez m’éclairer sur ce point ?

T.W.: Je ne peux pas vous dire grand chose sur le nom des personages. Gary Chalk fit toutes les illustrations et nous présenta le produit fini avec les noms déjà choisis. Vu que Gary était un spécialiste du Moyen-Age, je ne me suis pas pose de question sur ces noms, mais je me souviens avoir souris à la vue de "Wat" et "Tyler" dans la liste, car Wat Tyler était le chef de la révolte paysanne du 14e siècle. C’est un exemple typique de l’humour malicieux de Gary.

 

B.: Avez-vous conçu d’autres jeux ? Je n’ai pas vu votre nom associé à d’autres jeux, donc je me demande si ce n’était qu’un passe-temps ou une activité que vous vouliez développer.

T.W.: Pour moi, la conception de jeu n’était qu’une conséquence de mon hobby de wargamer. Je n’étais qu’un amateur enthousiaste, à tel point que je ne me suis pas soucié d’avoir mon nom crédité quand le jeu est entré en production. Et maintenant que j’y pense, Gary non plus d’ailleurs. A la suite de Cry Havoc, Gary et moi avions discuté la possibilité de produire un jeu situé à l’époque des Rajas, plus spécialement sur la frontière du Nord Ouest de l’Inde. Gary avait commencé à dessiner quelques cartes et j’avais commencé à réfléchir aux consequences des tirs à la volée et des combats au corps à corps avec des tribus afghanes. Malheureusement, pour diverses raisons le projet ne décolla pas et fut abandonné.

B.: Qu’en est-il de votre relation avec Standard Games?

T.W.: A part Gary, je n’ai pas eu de contacts directs avec "Standard Games", à part la reception occasionnelle d’un chèque pour ma contribution à la rédaction des règles. A l’origine, "Cry Havoc" était vendu principalement par correspondence, une ou deux boutiques spécialisées avaient pris une demi-douzaine de boîtes et c’était à peu près tout. Après quelques mois, on me demanda si je voulais vendre mes droits d’auteurs. Vu le niveau de ventes d’alors, je me mis d’accord sur un prix et céda mes droits. A vrai dire, je ne faisais pas ceci pour l’argent : j’étais très content que le jeu soit publié et que des joueurs du monde entier, bien qu’en petit nombre, semblaient l’apprécier (une des premières commandes vint d’un client en Papouasie Nouvelle Guinée : j’étais aux anges !).     

B.:Vous n’avez pas conçu les jeux suivants de la série. Y at’il une raison ?

T.W.: Peu de temps après la sortie de Cry Havoc, ma femme et moi eurent notre deuxième enfant et mes priorités changèrent. J’avais aussi perdu le contact avec Gary et je n’ai jamais connu les gens de Standard Games.

B.: La règle de Cry Havoc traitant des conséquences d’un combat à 1 contre 1 a généré beaucoup de discussion : L’attaquant ne peut pas gagner et a une forte chance d’être blessé. Etait-ce voulu ?

T.W.: Pour une raison qui m’échappe, l’incapacité d’un attaquant d’infliger aucun dommage dans une attaque à 1 contre 1 est une erreur qui nous a échappé quand nous avons testé le jeu. Voilà plus de 20 ans que je n’ai pas rejoué, mais je pense qu’à l’époque, notre solution consistait à utiliser les résultats de la colonne à 2 contre 1 (tout en appliquant les effets du terrain).

B.: Un autre problème est la puissance des arbalètes : beaucoup pensent qu’elles sont trop avantagées et que ceci nuit à la jouabilité. Etait-ce un effet voulu ?

T.W.: Nous étions satisfait avec les valeurs attribuées aux arbalètes et ne les considérions pas comme trop fortes : Qu’un carreau atteigne sa cible et ses effets étaient très dévastateurs. Ceci dit, on peut admettre qu’il aurait toujours fallu laisser une chance sur 10 (voire plus) que le carreau manque sa cible. A moyenne et longue portée, je recommande certainement de diminuer le potentiel de l’arbalète.

B.: Est-ce que vous vous attendiez à ce que ce jeu aurait encore une large communauté de fans et serait encore joué près de 30 ans plus tard ?

T.W.: Je me souviens d’avoir été très content quand Cry Havoc est apparu pour la première fois sur les étagères de grandes boutiques. Je fus encore plus surpris quand sa popularité devint telle qu’il donna naissance à d’autres jeux, mais je n’ai jamais imaginé dans mes rêves les plus fous qu’un groupe de joueurs serait encore en train de discuter avec enthousiasme de ce jeu 30 ans plus tard ! Je suis impressionné qu’à l’heure des jeux vidéo, un jeu de plateau relativement simple comme Cry Havoc continue de se développer.

B.: C’est sans doute parce que votre objectif de créer un jeu AMUSANT à été pleinement atteint. Un grand merci Tony pour ces éclairages et pour consacrer un peu de temps à partager vos souvenirs avec la communauté Cry Havoc.